Journée de Recherche Juin 2021

Journée de Recherche du vendredi 04 Juin 2021

Université de Paris
Faculté de Droit, d’Économie et de Gestion
10, Avenue Pierre Larousse 92240 MALAKOFF

Et maintenant ?

Quelles propositions du management ? Quels questionnements épistémiques ?

Nouvelle date de soumission : Lundi 29 Mars 2021

Les crises s’enchaînent et les difficultés se cumulent depuis de longues années, désormais à l’échelle mondiale. Toutes les institutions sont confrontées à des difficultés communes. Le management des organisations butte-t-il sur des obstacles épistémologiques ?

Dans ce contexte le management des institutions, et leur gouvernance en extension, doivent intégrer de nouveaux facteurs dont la visée est d’une part humanitaire, citoyenne et sociétale, d’autre part relève de la gestion des biens communs. Cette perspective nécessite d’examiner les propositions du management qui permettent de transformer l’impact sociétal des pratiques managériales et des buts de gouvernance.

Les facteurs de contingence devraient pouvoir être considérés de manière endogène, à savoir en « soi », et ne plus l’être comme en dehors de soi. Sans doute, le management doit-il se penser plus largement dans les Humanités que dans les techniques et dans le crédo de ses courants historiques. C’est le principe de base de la transformation et de la métamorphose. Les rapports entre l’économique et le social ont à se repenser pour construire les conditions de possibilité des transformations à envisager. Les acteurs ne peuvent pas avancer durablement, sereinement « le nez dans le guidon », dans des contextualités incertaines, indéterminées, instables, précaires… quand bien même l’urgence et la nécessité contribuent à instituer des modalités d’apprentissages nouvelles. Parfois, il faut envisager de renverser un ordre établi.

Le management des entreprises est né lors de la seconde révolution industrielle. Il s’est étendu à toutes les formes d’organisation, y compris pour la gouvernance des territoires et des nations. Le moment est venu de le soumettre à une approche critique, voire subversive, qui est à encourager car elle invite à soulever les voiles d’illusions et de dénis. Son action s’est d’abord concentrée sur l’amélioration de la productivité et de la performance industrielle, puis sur celle des services. C’est désormais le consommateur qui est visé comme l’objet et le sujet de la performance, par le moyen de la digitalisation de son comportement. En tant que création humaine, historiquement et culturellement située, le management a émergé pour remplir également une mission sociale, dont il est attendu désormais qu’elle intègre les préoccupations sociétales.

Le management s’est immédiatement heurté aux spécificités du facteur humain, et consécutivement à ses limites. Il s’est essentiellement construit à l’aune de sa matérialité et du développement de ses techniques, qui marquent encore sa définition courante. La digitalisation tente dorénavant de promouvoir « l’homme augmenté », à défaut de le remplacer par les outillages informatiques qui le tiennent en marge, voire l’écarte du monde du travail. La réponse technologique est-elle suffisante ? Les outillages sont assez largement devenus des biens de consommation courante et des biens dont l’usage devient obligatoire. Certes la digitalisation contribue à la création de valeurs et à la transformation des marchés. Mais au regard de la problématique générale, elle n’est qu’une ressource. Son développement questionne la destinée humaine.

Les invariants économiques n’ont guère été convertis depuis des décennies. De nombreuses théories économiques, financières, comptables, managériales… sont devenues de vieux monuments. Elles

s’avèrent dans la crise contemporaine radicalement caduques. Tant leur usage idéologique que la recherche scientifique entretiennent leur restauration à la marge. Le marketing, l’action commerciale et la communication ont promulgué des chefs d’œuvres d’industrie. Les performances sont plus financières que productives, malgré l’automatisation et même sur ce plan, le monde financier roule son rocher de Sisyphe. La division des coûts masque les transferts et leur réalité économique. Les statistiques sont établies sur des normes comptables et l’on se satisfait d’un déterminisme statistique pour prendre les grandes décisions. Elles le sont souvent à la marge de la tâche aveugle des problèmes et des problématiques, nonobstant les justifications. Il s’agit toujours d’améliorer la productivité fractionnée des facteurs, à l’aide de calculs dont l’assiette inclut de moins en moins le coût direct du facteur humain.

Il est attendu de cette journée de recherche une proposition de textes mettant en perspective un éclairage visant une conversion épistémique, théorique, praxéologique et concrète des pratiques managériales et de ses substrats (théories, modèles, dispositifs…). La recherche en management aurait à entreprendre une réflexion sur la pertinence de son régime scientifique à cet égard. Peut-elle trouver dans son champ disciplinaire des ressources pertinentes ? Quelles contributions la psychanalyse et notamment ses extensions apporteraient-elles pour éclairer la rupture épistémologique ? Quelle contribution la psychanalyse apporte-t-elle pour éclairer la rupture épistémologique qui s’impose maintenant au management ? Quelles transformations paradigmatiques seraient à envisager afin de construire les ponts adéquats entre des sciences trop spécialisées ? Comment sortir de l’illusion technicienne (Ellul, 1954) ?

Dans les sociétés contemporaines, la gouvernance, le management et le développement des institutions et des organisations sont assez largement désignés comme les fons et origo de tous les maux et ceci depuis l’avènement de la révolution industrielle. Les espoirs ont été portés par le développement des nouvelles configurations organisationnelles, désormais orientées par les apports de la digitalisation…, mais ce développement – illusoire ! – montre ses limites, et déçoit déjà. Ce sont les orientations, les équilibres et les politiques qui sont à repenser et redéfinir en tenant compte de ce que les dirigeants et les managers, autant que les collaborateurs se doivent d’être citoyens. En effet, les institutions et les organisations ne votent pas en leur qualité de personnes morales. Leurs dirigeants se voient à cet égard attribuer des privilèges qu’ils ne devraient pas avoir. Ce n’est pas qu’un point de vue, puisque la question du démantèlement des grandes entreprises internationales et mondiales se pose de nouveau. Certes, les entreprises contribuent à la transformation des sociétés, mais elles conservent les héritages historiques de leurs emprises sociétales antérieures au siècle des Lumières. Leur puissance libère l’économie, mais s’avère anthropologiquement et politiquement aussi complexe qu’ambigüe, attendu qu’il y a bien d’autres voies et manières pour contribuer à la satisfaction des besoins humains et qu’émergent des économies alternatives. Le contrat, et notamment le contrat de travail, n’ont guère tenu les promesses de la libération du sujet. C’est largement le cas désormais avec la digitalisation, puisque pour de nombreuses transactions, il n’y a même plus de possibilité de négociation, ni plus même de possibilité de joindre un interlocuteur pleinement compétent.

Pour les acteurs, les facteurs de contingence sont ainsi désormais les abîmes des effondrements, à dessein l’effondrement de la civilisation industrielle (collapsologie): les crises économiques structurelles, la souffrance au travail, les tensions écologiques et climatiques et le défi abyssal de la conversion de nos activités pour nous permettre d’y répondre (aux enjeux climatiques et écologiques), les crises sanitaires, l’épuisement des ressources naturelles (eau, métaux, minerais…), la discrimination humaine et la déshumanisation, la transhumanité et l’I.A… Les enjeux de l’anthropocène nous renvoient moins aux limites de l’humain qu’à la violence et aux intérêts des grandes puissances économiques et financières et aux rivalités de la géopolitique.

La perspective proposée est désormais de soumettre l’humain à l’emprise de la gouvernance digitale, laquelle après avoir accru « le management des procédures », « le management sans sujet », va désormais contribuer à assujettir le sujet dans l’abaliété de son empire mondial et dans ses conditionnements sociétaux. Les innovations dans le domaine du digital nous posent des questions fondamentales relatives à ce que nous sommes et ce que nous souhaitons devenir, cela autant sur le plan individuel que collectif. Le monde des entreprises aussi bien que les sphères publiques sont concernés par ces questions. Il convient donc de permettre une élucidation scrupuleuse des discours et des modes de vie, de leur signification existentielle, qui sont engagés par des modes d’organisation qui favorisent de plus en plus des logiques de dématérialisation, de transparence et d’automatisation. Quelles visions du monde sont sous-tendues par ces dynamiques qui valorisent l’hyper-connexion et qui engendrent le traitement automatisé de flux de données ?

Les acteurs économiques doivent désormais apporter leur contribution citoyenne à la satisfaction de tous les besoins humains. Il manque un métacadre et un infracadre à la pyramide de Maslow qui puissent intégrer le millefeuille des prodigieuses conceptualisations que la gouvernance et le management promulguent (responsabilité sociale, entreprise agile, entreprise libérée… et bien d’autres souvent promulguée sans délibération scientifique suffisante), dont l’institutionnalisation est largement controversée. Mais les chercheurs ne se rendent-ils pas complices de la disharmonie du management ? S’intéressent-ils suffisamment aux offres proposées par ceux de leurs pairs qui en ont ouvert les voies de l’harmonie et de la correction des errements ? Il faut pour cela accepter la rupture et le dépassement épistémologiques. À dessein, on s’est un peu vite réjoui des vertus du télétravail, du téléenseignement… Certes, ils présentent de nombreux intérêts, mais pas sans régulation sociale. Voilà que les citoyens en soulignent les limites… nonobstant le fait que le politique donne quartier libre aux acteurs de l’économie pour mettre en œuvre, sans débats citoyens, les remèdes et les destructions à envisager pour le sauvetage de l’économie…

Alors, il manque au management une philosophie d’essence réflexive, au sens où il se trouverait embrassé par la pensée profonde du sujet, qui le fasse sortir de la Symbolique du Mal. Par les méthodes actuelles du management, le symbolique et l’imaginaire s’imposent du dehors. Il s’agit que les pratiques et les théories du management se réinscrivent du dedans, ce que signifie « faire la place du sujet », afin que les connaissances scientifiques en management ne restent pas vides et vaines à cet égard, par éviction des dimensions subjectives, intersubjectives et pulsionnelles. La psychanalyse en extension, étayée sur la clinique de l’inconscient dans les groupes, les organisations et les relations interculturelles ouvre cette perspective…

L’objet central de cette journée de recherche est d’apporter une contribution nouvelle aux recherches en management, pour ne pas se laisser emporter par des fantasmes tels que « l’homme augmenté » qui « sauverait » selon certains l’humanité…De nombreux questionnement surgissent que les chercheurs formuleront afin d’étayer leurs propositions et d’ouvrir le débat maintenant. Nous suggérons notamment de requestionner le langage, les déterminismes des ancrages praxéologiques, tant théoriques que pratiques. Nous souhaitons aussi traverser le miroir des désirs, questionner ses corpus dans le signifiant de l’Autre.

La psychanalyse a beaucoup travaillé sur les discours et sur des structures telles que la perversion. Le développement de cette dernière dans de nombreux champs, notamment managériaux, n’est-il pas à élucider maintenant, comme le fit l’Ecole de Francfort dans les années 30 dans un contexte lui aussi pervers ?