Cher(e)s Adhérent(e)s, Collègues et Ami(e)s ;
Bonjour ;
Pour les vœux de cette nouvelle année 2019, et comme chaque nouvelle année, nous vous proposons un texte inédit.
La pensée en diptyque !
Le verbe « penser » trouve son origine dans le mot latin « pensare » signifiant peser, juger, et dans le mot latin « pendere » caractérisant son aspect lexical itératif. Cette caractéristique lexicale souligne la réflexivité.
La
pensée désigne l’activité psychique consciente relative à l’activité
affective et intellectuelle. Le mot « pensée » caractérise une unité
lexicale dont la frontière entre la lexie et le signifiant est floue. La
signification spécifie la faculté de connaître et l’activité qui en est
à l’origine, dont la réflexion, l’abstraction et le travail réflexif.
Par extension, elle désigne la manière de penser quelque chose à l’aune
de ses idées. La conscience établit la relation avec soi et entre soi et
le monde. La relation entre la pensée et la conscience est d’ordre
métonymique. Avec soi, le sujet développe la capacité à être le sujet de
sa propre expérience consciente (cf. conscience phénoménale, sous
réserve de son acception au travers du concept de l’intentionnalité qui
la spécifie comme séparable). C’est l’infrastructure de la subjectivité
et de la réflexivité, à partir de laquelle il peut enrichir son
expérience d’être dans et avec le monde.
Les
pensées caractérisent plus généralement les représentations
consécutives de l’activité de pensée, à l’aune des interprétations. Par
extension, elles désignent un ensemble de réflexions élaborées par un
auteur.
La
pensée vise plus largement à produire une forme perceptible mentalisée
actionnable en communication par le moyen d’idiomes traversant le
langage, l’écriture, le dessin, la musique…, et toute activité
contribuant à sa transmission, relative à l’expression des sens et des
talents… Cependant, à la base, « penser », c’est avant tout « se
représenter » en élaborant des représentations à partir
d’interprétations.
La pensée est le sujet de la coupure de la conscience d’avec l’inconscient (1ère topique
freudienne). Cette coupure a une influence sur nos attitudes et sur nos
comportements, corrélativement sur l’acquisition du savoir et sur la
création de connaissance, dans la mesure où elle établit un rapport
entre ce qui est désirable et ce qui ne l’est pas, rapport lui-même
assigné via les instances du Moi, du Surmoi et du ça (seconde topique
freudienne). Cette coupure distinguant les deux instances du conscient
et de l’inconscient a été théorisée par S. Freud comme instance pour
penser le sujet comme sujet de l’inconscient d’une part, pour conférer à
la psychanalyse son autonomie théorique et clinique d’autre part, au
regard de la distinction des mécanismes psychiques à l’œuvre. Cela en
dépit des critiques de la théorie de l’inconscient, dont la critique de
J.P. Sartre (1943) qui trouve bizarre que l’on puisse connaître des
mécanismes dont on n’a pas conscience… et proposer une psychanalyse
concurrente dite existentialiste postulant que notre conscience ne
s’éclaire que dans le rapport à l’avenir ! C’est deux conceptions
radicalement différentes du déterminisme de la liberté qui s’opposaient
en fait…
On
peut aussi citer ce que S. Freud (1896) a appelé les rejetons de
l’inconscient, à savoir des représentations conscientes qui se
substituent à des formations inconscientes (cf. formations
substitutives). La psychanalyse instruit à cet égard la théorie des
représentations et des interprétations. Pourquoi contester cette
autonomie théorique dans le champ des sciences de la psyché, conférant à
la psychanalyse son statut théorique propre, tandis qu’on l’accepte
dans le champ des sciences médicales, mais aussi en sciences
économiques, en sciences de gestion pour leurs différentes disciplines
ou au titre des spécialités, pour se reposer ensuite la question de
leurs reconnexions… pire encore lorsque la pensée s’arrime dans le
dualisme aristotélicien… Il y a comme une bizarrerie… qui introduit à la
nécessité de mieux éclairer les rapports d’oppositions. Ce fragment de
texte, qui vous est proposé, fournit un tableau de la pensée à cet
égard, caractérisant un cheminement de celle-ci éclairée dans le
registre de la conflictualité au regard de son essence énantiologique.
Cette perspective contribue à en déplacer les frontières dans le
registre de l’intersubjectivité pour une application en management et en
conduite du changement.
Les
résistances sont légitimes lorsqu’elles relèvent d’un arbitrage en
conscience du sujet, quelques soient leurs degrés de liberté et leurs
attributions, subjectives, relatives aux croyances, aux certitudes…
Conscientes ou inconscientes, elles relèvent aussi de la carence
introspective et toujours de ce qui de l’autre encrypté en nous est
insupportable (C.G. Jung, 1964) que les épistémès sont susceptibles
d’entretenir. Se transformer est légitime ; vouloir transformer l’autre
en tant qu’il est sujet de… assigne une violence et donc tôt ou tard une
réaction… À l’aune de cette fragmentation des instances psychiques,
caractérisant une explicitation intelligible et une hypothèse largement
validée par l’observation même du fait qu’il existe bien une barrière,
l’instance du sujet conscient est le Moi. Les mécanismes de défense
inconsciente confèrent un statut de contenu à ce qui fait l’objet du
refoulement et retiennent les contenus dans l’inconscient. Toutefois, ce
qui reste des pensées immatures ou indicibles qui ne sont saisies que
par leur valeur en soi peut l’être au travers des relations à l’autre
(évacuation par projection), contribuant à la transformation de
certaines en éléments de pensées (cf. travaux de W. Bion et de M.
Klein). Bion indique à cet égard que la capacité de penser dépend de la
capacité à transformer en pensées ce qui est l’objet de manques, de
frustrations, de déplaisirs, de souffrances. La pensée s’élabore dans la
relation dynamique entre un contenu et un objet qui sert de support à
leur élaboration d’une part, elle-même organisée par la relation
dynamique entre les positions paranoïde-schizoïde et dépressive d’autre
part.
Le
pas avec l’acte inconscient est souvent largement franchi. L’acte
irréfléchi, impulsif, impensé… n’est pas l’acte prémédité. Il peut être
d’ordre pulsionnel, pathologique, délictuel ou criminel. Cependant, plus
largement une forme d’inconscience morale règne au sein des sociétés,
ainsi que l’actualité nous le montre, à propos de la transition
écologique, de la misère économique, sociale, voire culturelle, mais
aussi des choix politiques au regard des ancrages inconscients. De façon
métonymique, on peut suggérer que le regard à penser, peser, juger… Il a
pris position, mais il a aussi dénié, jeté dans l’indifférence, dans
l’ignorance, dans le mensonge, dans la dénégation, dans l’oubli. Cette
attitude participe à la reproduction de l’ordre établi et à la
marginalisation de la pensée critique. Elle se garde bien de mettre à
l’épreuve la pensée embarquée (Garo, 2009). Ce qui est en cause,
souligne l’auteur (Ibid.), c’est le mode de production des idées, la pensée embarquée révélatrice des idéologies.
Le dépassement du mur de l’obscurantisme, voulu au Siècle des Lumières par les idéologues Antoine Destutt de Tracy, Pierre Jean Georges Cabanis (dit de Cabanis), Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais (comte de
Volney) en constituerait-il sa propre buttée ? Le gueux de Ferney
(Voltaire) écrivant pour agir (1767) fût même embastillé pour ses idées.
Depuis, l’idéologie du contrat n’y a rien changé… dès lors qu’elles en
constituent son substrat.
Les
idéologies ne meurent jamais (R. Kaës, 2016[1980]). Elles mettent le
sujet à l’épreuve de la dissonance cognitive en première approximation.
Mais une pensée dans le registre de la conscience en cache parfois son
essence dans le registre de l’inconscient qui assigne l’autre que
soi-même à sa destination en clivant la pensée dans sa charge
oppressive, caractéristique des positions archaïques défensives liées
dans les alliances inconscientes. Ce qui se laisse entrevoir est ce qui
se clive en tant que chacun en est le sujet… que fournit d’ailleurs le
soutien de-plus-d’un-autre (Ibid.) de part et d’autre des coalitions.
Il
faut en mesurer la portée pour le management et pour le fonctionnement
des organisations. Le sujet est divisé, à son insu, quand bien-même le
soutien de de-plus-d’un-autre,
sujet du conflit psychique (intrapsychique chez Freud, conflictualité
plus largement) également à son insu. Déjà à la base, le contrat divise.
Le collectif (sujet de l’intersubjectivité) a d’ailleurs ses limites
qui sont celles du soutien de de-plus-d’un-autre.
Les liens intersubjectifs organisent des coalitions. L’élaboration de
la signification fragmente la pensée entre le dit et le non-dit, selon
que le sujet admet ou non des exigences non conformes à ses motions et
accumule consécutivement des frustrations. C’est cette fragmentation de
la pensée qui est « remaniée » dans le travail de (et en) intersubjectivité contradictoire (H. Savall et V. Zardet, 2004), soutenu par un travail en interactivité cognitive (Ibid.)
pour traiter les problématiques de dissonance cognitive. Ce remaniement
passe par la négociation. Un alignement et un accord ne se construisent
néanmoins que sur de la connaissance nouvelle créée par les acteurs
eux-mêmes dite connaissance générique (Ibid.).
Le
non-dit divise le sujet, le dit d’une part, le non-dit d’autre part,
parfois la falsification du dit (cf. hypocrisie organisationnelle).
Cette division organise la résistance des consciences, parfois introduit
la perversion dans le management, qui s’installe comme infrastructure
du fonctionnement des organisations et de leur management, puisque
chacun cherche à obtenir gain de cause (cf. les intérêts, l’évacuation
des frustrations, et donc les conflits). C’est toujours d’en passer par
l’autre, de remettre en jeu les identifications et les idéalités de part
et d’autre de chacun, que surgit le collectif, sous réserve que la
négociation ne soit pas perverse, qu’elle institue la confiance. La
négociation est souvent une arme à double tranchant. Lorsqu’elle défend
radicalement, en fait, elle laisse libre cours au jeu des mécanismes de
défense inconsciente. Être écouté et entendu, c’est ce que chacun attend
à minima dans la négociation. Cela est vrai aussi au niveau politique.
Tout clivage conduit tôt ou tard à la catastrophe, puisque toute
bifurcation maintient ou aggrave le clivage. Pour coopérer, il faut se
rencontrer…
Les
managers, les gouvernants, généralement ou souvent eux-mêmes des
subordonnés d’ailleurs, et par analogie la gouvernance et le management,
sont régulièrement invités à y réfléchir d’une manière ou d’une autre
lorsqu’ils sont confrontés aux épreuves. C’est du moins ce qui est
largement professé…
Dans
son domaine, le management pense ses propres conceptualisations et/ou
méthodes. Soumettons néanmoins l’idée que les dispositifs du management
contribuent au développement de la capacité à penser, en laissant libre
cours à la pensée critique, plutôt que de la cristalliser… Il y a lieu à
cet égard de donner du temps pour la pensée de détail (C. Baudelaire,
1906 ; R. Char, 1946), du temps pour la liberté de détail (S. Tesson,
2015), du temps pour faire la place de « l’étui de vérité » (R. Char,
1946)… mais aussi faire la place à la dignité de penser (R. Gori, 2013),
faire la place à la pensée créative impossible sans introjection
pulsionnelle des possibilités et des renoncements (D. W. Winnicott,
1963, 1965) si largement sollicitée au sein des organisations, car
l’impossible nous sert de lanterne (Ibid.).
Certes,
de la créativité à la création, il y a un pas dont le franchissement
dépendra de la qualité et de l’efficacité du management, y compris de sa
théorisation. On retient des travaux de D.W. Winnicott que la
créativité trouve son expression lorsque la représentation permet de se
délivrer des résistances inconscientes et que la pensée pourra éprouver
en constatant que l’objet est trouvé. Il y a transformation si l’objet
est intégré ainsi que son altérité (C. Bollas, 1979). J. Piaget
(1977[1936]) l’a également signifié avec les processus d’assimilation et
d’accommodation pour établir un rapport à l’exercice de l’intelligence…
dans les limites néanmoins de l’emprise des méthodes, des dispositifs
et des instruments.
La
méthode et ses prédicats ne sont néanmoins d’aucun secours si les dés
de l’intentionnalité sont pipés et si la méthode devient un instrument
de falsification… À ces conditions, l’engrenage fait le lit de
l’interdit de penser… et dans le même temps ouvre celui de la vérité qui
s’échappe (J. Lacan, 1969-1970).
Au-delà,
il nous reste à souligner que le développement de l’usage des
Technologies de l’Information et de la Communication exercera une
emprise sur le développement de la capacité à penser. L’algorithmique
fera de nous des sujets de la résolution de problèmes algorithmiques. Il
s’agira notamment de déduire nos pensées, de prédire et de prescrire
nos comportements – c’est déjà une réalité avec le produit commercial Google Adsense –
nous serons sans doute confrontés à un diptyque à trois faces… y
compris pour le management des organisations qui trouvera, lui aussi, un
marché pour des marchandises fictives (Polanyi,
1944)… un défi pour Psychanalyse & Management puisque c’est la
question de la possibilité de la transmutation du sujet de
l’inconscient qu’il faut explorer…
Au
nom des membres du Conseil d’Administration et du Conseil Scientifique
de l’I.P&M, je vous adresse mes vœux de bonne année pour 2019…
Daniel Bonnet
Président de l’I.P&M