Ma Pierre Philosophale…
« J’avais écrit Psychanalyse et Management comme un vieil alchimiste gratte sa pierre philosophale. Je n’avais ni la toque, ni la houlette qui inscrivent fermement dans ces ordres puissamment identitaires. Mon esprit égaré allait d’un repère à l’autre sans savoir énoncer un chemin. Tout me porter à douter et redouter entre ces nouveaux Charybde et Scylla de l’exacerbation post moderne des subjectivités et du formalisme en inflation écrasante des organisations. Soudain, d’une manière incongrue et quasi absurde, ma plume s’anima. Je lus : « Aimer, croire, espérer… » Le souci d’être davantage et ailleurs s’effaça. Le goût essentiel de ne pas manquer de prochains rendez-vous amoureux me rendit au plaisir de mon voyage imaginaire » GBP
Pourquoi, pour qui, l’Institut Psychanalyse & Management ?
Par Georges BOTET-PRADEILLES, Docteur en psychologie, Président Honoraire de l’I.P&M;
Chers adhérents et amis ;
Notre
Premier Président Germain Bertrand dont je me suis rapproché rappelle
nos origines et nous encourage à poursuivre notre quête :
«
Le fondateur d’avant même la fondation est de tout cœur avec vous. La
scène primitive a eu lieu à Paris, boulevard Saint Michel, en septembre
1990, au premier étage de la brasserie Le Cluny (pour être tranquilles),
en fin d’après-midi. ».
Il
ajoute : « Quand je veux expliquer l’intérêt d’une réflexion sur
Psychanalyse et Management, je paraphrase Pascal : « Le manager a ses
raisons que le management ignore »… ». Le management est la mise en
œuvre de moyens qui font appel à des outils et des méthodes d’analyse,
de décision et d’évaluation qui s’inscrivent dans un corps de
connaissances scientifiques.
Mais
quiconque a managé une collectivité humaine sait qu’il y a là des
phénomènes inconscients individuels et collectifs, difficiles à traiter
par des principes généraux, qui conduisent à des interprétations
hasardeuses ou des interventions empiriques.
Nous
abordons là ces attentes émotionnelles de l’individu qui espère
l’attention et la reconnaissance des instances dirigeantes comme
l’enfant guettait et provoquait jadis les réponses parentales…
Freud
énonçait exactement : « L’inconscient c’est l’infantile en nous ». Le
groupe humain lui-même ne se fonde et ne trouve cohésion que dans la
circulation de signes, de valeurs d’appartenance, de culture ou morales
faisant loi. Lévy Strauss nous a enseigné qu’il n’est pas de communauté
humaine qui fonctionne hors d’une structure symbolique permettant à
chacun de se retrouver dans des mythes, une histoire, des références,
des figures, des rituels, des interdits et des limites.
Notre
époque d’impatiences matérialistes fait déni de ces dimensions
inconscientes ou l’esprit humain porte son désir et son espoir dans
cette foi archaïque mais quasi constitutionnelle en une Autre réponse
dans un Universel nécessaire à l’imaginaire de chacun et de tous…
Fédérer
un Club, une communauté, un village, une PME, voire un Etat, dans une
dynamique collective d’appartenance fondée sur des facteurs immatériels
peut s’observer ici et là. Il suffit parfois de désir et de parole à un
niveau suffisant de don de sens.
Tel
entraîneur sait bien que les résultats de son équipe sont liés aux
fondamentaux techniques et tactiques, mais que le plaisir de jouer
ensemble va créer un entrain déterminant. Cela n’est pas spontané, il
faut l’inspirer. L’inconscient ne se manipule cependant pas. Il peut
seulement entendre ce désir de l’Autre où il y a une volonté forte de
partage humain et de dépassement de l’ordinaire. Cela fait de nous une
espèce migratrice/ en quête de nouveaux rivages…On disait jadis de
certains : « Ce sont des meneurs d’hommes ».
Il
ne s’agit pas de faire des managers des psychanalystes. Mais seulement
d’apporter un éclairage paradoxal sur le management de cette ressource
psychanalytique où la seule règle est le « Connais-toi toi-même »
inscrit au fronton du temple de Delphes qui inspira Socrate.
La
position de l’IP&M pourrait se définir ainsi : « Du bon usage de la
psychanalyse lorsqu’on n’est pas psychanalyste, que l’on ne veut pas
laisser croire qu’on l’est un peu, et qu’on veut quand même tirer parti
de ce que l’on en sait…». Freud lui-même autorise cela (Malaise dans la
culture, 1929) avec la prudence de rigueur dans l’usage analogique de
concepts descriptifs des faits métapsychologiques qui ne sauraient être
que symboles et métaphores. Il serait hasardeux de vouloir les rendre
opératoires.
Rien n’interdit cependant d’exercer son oreille à entendre le sujet…
Psychanalyse
et Management pointe cette insatisfaction, voire cette déception qui
guette l’individu dans le monde actuel des organisations de plus en plus
dépersonnalisées et technicisées dans des dimensions politiques et
économiques échappant aux acteurs, parfois même au plus haut niveau…
Le
besoin d’ordre symbolique des individus face à ces entités anonymes et
inaccessibles réclame un discours Tiers qui sache restaurer le sens, le
sentiment d’appartenance et le partage plaisant de l’aventure humaine.
On peut certes lui adjoindre la réflexion stratégique qui prend en
compte la réalité politique et l’exploitation des outils, moyens et
méthodes, nécessaires au traitement de tout objet… Mais sans le sens
symbolique partagé de l’usage les meilleurs outils ne sauront créer que
complexité et discorde.
Faut-il
là ces coachs, consultants, thérapeutes, psycho-sociologues, qui
sauraient faire lien entre l’humain et l’inhumain technocratique ?
Seront-ils ceux qui entendent les parties, mais ne prennent pas parti en
se positionnant du côté de la règle, de l’arbitrage et d’un ordre
symbolique qui transcende la contingence des situations ?
Faut-il
une remise en question éducative et sociale plus profonde qui restaure
le symbolique dans nos Sociétés ? Où sont ces Sujets collectifs
fédérateurs qui nous inspireraient ce sentiment d’appartenance tellement
nécessaire ?
C’est bien là notre champ de réflexion …
L’interface
entre psychanalyse et management est à concevoir autrement que par des
régulations empiriques et les apaisements médiatiques inspirés par les
crises… Florian Sala qui succéda à Germain Bertrand à la Présidence
d’IP&M nous fait encouragement et injonction pour cette entreprise :
« Je ne doute pas que notre nouvelle équipe (associée aux anciens dont
moi) pourra continuer ce travail de longue haleine et trouver/prouver
par des publications de qualité (le grand livre intitulé Psychanalyse
& Management reste à construire) une légitimité qu’elle mérite. Ces
écrits ne trouveront leur force que par des actions concrètes sur le
terrain utiles aux acteurs du monde économique et social. »
Il
nous faut d’abord ici restaurer l’image de la Psychanalyse et celle du
Management dans leur essence. Les représentations qui en circulent sont
souvent des caricatures qu’il convient de combattre pour servir une
cause indissociablement commune.
On
entend souvent le déni matérialiste, qui se veut pragmatique, de cet
inconscient obscur chargé de secrets. Une longue confrontation aux
inlassables ruses hystériques et aux redoutables constructions
obsessionnelles permet aux praticiens du dispositif analytique
d’éprouver la constance d’effets de structure qui ne relèvent pas du
sens commun. L’incessante récidive des symptômes chez les patients les
plus cultivés et intelligents montre bien que l’inconscient, à jamais
infantile, ne s’apaise pas.
Les
esprits simples de notre temps vont penser que l’on s’allonge
inutilement sur ces ridicules divans. Mais même si rien ne s’y élucide
ni ne s’y justifie, c’est le seul lieu où « ça » parle. Les illusions
perdues de l’enfance demandent toujours réponse à la réalité. Nul autre
lieu ne permet mieux la réhabilitation du sujet profond dans sa
fragilité émotionnelle. On se complait plutôt aujourd’hui à favoriser
par maintes pratiques ‘dopantes ‘ et fragilisantes les surenchères
narcissiques du Moi sans cesse en parade qui dissimule et triche
toujours un peu…
Le
métier de manager souffre d’un discrédit parallèle à la psychanalyse
dans l’opinion commune. On y entend contrainte et manipulation. Avant
d’en parler faudrait-il encore l’avoir appris. Le
management c’est cette vigilance scrupuleuse qu’il faut porter à tout
ce dont on est responsable selon le contrat, les objectifs, la loi,
l’éthique et parfois même le souci social, le dialogue ou la compassion.
Cette autorité déléguée par l’organisation est toujours ambiguë. Il
faut concilier les choix politiques et stratégiques avec les impératifs
de production et d’échéances, les mouvances technologiques, et les
attentes diverses du personnel que faute de pouvoir pleinement
satisfaire, il importe de ne pas décevoir. Il faut enfin savoir trancher
sans heurter. Dans un temps qui aime peu l’autorité et les décisions
qui s’imposent, même par nécessité, le rôle est éminemment ingrat. Le
manager doit se préserver des pressions descendantes ou ascendantes, de
l’irritation et des impatiences. Il sera sur responsabilisé et rien ne
lui sera jamais acquis. Il est réduit à se consumer dans l’imagination
de compromis improbables.
Les
esprits simples verront facilement en lui cet agent inconditionnel de
l’exploitation capitaliste ou du pouvoir technocratique. Des projections
plus inconscientes en feront un persécuteur potentiel pour peu qu’il se
rigidifie dans ses pratiques ou se protège dans ses modalités
relationnelles.
On
ressent ici la convergence intime qui lie psychanalyse et management
dans les registres du désir et de l’affect. Le sujet doute ou saisit le
lien qui le lie à un autre sujet, cela commence à donner sens à ce &
qui nous fait objet.
Le
désordre des couples, la souffrance au travail, l’appauvrissement
symbolique des grandes organisations que sont les entreprises et les
institutions internationalisées, les Etats eux-mêmes, pour lesquels on
mourrait encore fièrement (follement ?) en guerre il y a peu de temps,
nous interrogent. Où est cet Autre désir qui fait que l’on désire
soi-même pour lui répondre ? Conjoint, chef de service, patron, élu,
institutions, font l’objet de suspicion légitime.
Faute
d’inscription possible dans une appartenance symbolique reste-t-il
autre chose à chacun que le refuge dans son système névrotique qui le
laisse là où il se protégeait enfant ou pire, dans des jouissances
narcissiques dont il soutient son Moi improbable ?
Avec
Dominique Drillon, mon prédécesseur immédiat, nous avons une
convergence récente et quasi complice. Nous nous sommes rencontrés à
Lyon lors des journées sous l’égide d’I.P. &M qui traitaient du
souci de soi, du souci de l’autre et de l’insouciance. Cela faisait déjà
signe. Sans le savoir l’un de l’autre nous écrivions. Il préparait
sérieusement « Le bonheur d’être névrosé et surtout comment ne pas en
sortir » et j’écrivais poétiquement « Apologie de la névrose » d’une
veine plus jubilatoire.
Tout
psychanalyste saura lire là le souci de préserver en soi et en l’autre
le gisement inépuisable d’espoir que l’inconscient entretient par le
fantasme, les mythes et cette inscription dans une continuité humaine
virtuelle dont le capital culturel, émotionnel et esthétique s’enrichit
sans cesse. Il suffit parfois d’entrer dans sa bibliothèque ou d’aller
voir un bon film pour restaurer un imaginaire érodé par la réalité….
Faute
d’inscription dans une communauté porteuse de sens l’individu n’est
riche aujourd’hui que de son espérance névrotique. Je reprends enfin à
Dominique sa parabole de Pygmalion et Galatée en l’articulant à ma
façon. Ce que chacun crée par son savoir, son talent et son désir finit
par exister et lui répondre amoureusement. L’œuvre nous constitue comme
sujet pour un autre sujet. Les organisations sauront elles devenir ce
sujet auquel nous prendrons goût d’appartenir ?
L’affaire
est aujourd’hui tellement personnelle… Dominique Drillon nous le
signifie bien : « Chacun a la responsabilité de vivre bien avec sa
névrose ». Il scelle cela en citant Maud Fontenoy à l’issue d’un tour du
monde à contre-courant : « Il faut vivre ses rêves sans jamais baisser
les bras et surtout ne laisser personne vous dire que c’est impossible. »
C’est à ce prix que s’opère la restauration de l’humain dans le
symbolique où il prend sens.
Psychanalyse
et Management ? Il n’y a là que cette indépendance d’esprit sans
allégeance, également attentive aux contraintes de la réalité et aux
injonctions de l’inconscient signifiant au Moi, par le truchement de ses
autres instances, qu’il ne saurait s’ériger seul. Au-delà du métier et
de la fonction, le soin de soi et d’autrui s’impose au manager. La
diversion y mettra parfois cette note d’insouciance d’Arlequin à la
commedia dell’arte qui transcende ces implications réductrices et
excessives où l’on se prendrait trop au sérieux.
Quant
au métier lui-même toutes les écoles sont fréquentables sauf celles qui
inféodent au totalitarisme d’une doctrine ou d’un maître. De toute
façon on n’apprend bien qu’ensemble…
C’est
cette liberté là qui nous fera argument. Kant dans sa « Critique de la
raison pratique » dit bien qu’elle résulte seulement d’un effort de
rigueur préalable et non du bénéfice acquis d’un heureux concours de
droit et de nature.
Il
faut y entendre de la même oreille les rudes contraintes
incontournables de la réalité managériale et cette logique spécifique de
l’inconscient qui nous fait sujets désirants dans un monde qu’il faut
bien partager, bien que l’on sache que le désir se partage peu…. Freud
répondait à qui lui demandait à quoi peut bien servir la Psychanalyse : «
A pouvoir aimer et travailler »
C’est
ce que je souhaite à chacun d’entre vous. Lorsque par nos travaux et
l’approfondissement d’une réflexion commune, nous pourrons aller au-delà
de ce point résumé que je fais aujourd’hui. L’I.P.&M. pourra alors
s’engager vers une dimension plus ambitieuse. La convergence des champs
que nous nous sommes donnée pour objet impose le rayonnement.
Nous
nous définissons par nos statuts à la fois comme centre de recherches,
lieu d’échanges et de pratiques et organisme coordinateur d’une
réflexion sur les prestations de services…
Pour le moment il faut prendre un temps à mieux nous rêver.
Que chacun veuille bien agréer l’expression de mes sentiments les plus cordiaux.
Georges BOTET-PRADEILLES